Rodgers en mode « people »

Aaron Rodgers interviewé par Kenny Mayne qui présentait son dernier Sportscenter sur ESPN

Lundi soir dernier, Aaron Rodgers a parlé aux médias, une émission d’ESPN en l’occurrence. Dans son style sibyllin qui le caractéristique tant, l’actuel (encore) n°12 vert et jaune a, sous son apparence toujours « à la cool », porté des messages forts, et pas forcément agréables à entendre pour l’organisation.

RODGERS TOURNE AUTOUR DU POT

Interview en visiophone donc pour Kenny Mayne, le présentateur du Sportscenter. Enfin, désormais ex-présentateur, puisque c’était sa dernière, et selon Aaron Rodgers, c’est bien pour cela qu’il a réservé la primeur de ses impressions à Kenny Mayne, plus d’un mois après la révélation par un de ses collègues d’ESPN du mécontentement réel de Rodgers vis-à-vis de l’organisation de son équipe. Une révélation en forme de tweet à laquelle Rodgers n’eut aucune réaction, avalisant donc l’information.

Visiophone donc, car notre QB est actuellement sous les tropiques, n’occultant pas les posts sur les réseaux sociaux de sa compagne, l’actrice Shaileen Woodley, ou de ses amis, tous en villégiature à Hawaii. Ce n’est pas comme si la reprise officielle des « OTA », les entraînements volontaires, avait lieu le même jour, à 6000 km de là, à Green Bay, Wisconsin.

Oui, entraînements volontaires donc non obligatoires. Mais c’est juste la 1ère fois en 16 ans que Rodgers manque ces OTA. Loin d’être anodin, cette absence bien volontaire est un véritable signal de conflit.

Durant les premières minutes de l’interview, Rodgers retournait la vapeur par un concert de louanges envers le présentateur d’une émission, il est vrai, emblématique de la chaîne ESPN depuis que Mayne eut intégré le groupe en 1994. Le présentateur plaisantait ensuite sur le look de Rodgers au Kentucky Derby (l’épreuve hippique où il est justement de bon ton de s’habiller de manière classe mais décalée), alors qu’Aaron Rodgers précisait dans le même temps avoir perdu 7-8 kg à l’inter-saison.

LE SUJET QUI FÂCHE ÉVOQUÉ DE MANIÈRE ÉNIGMATIQUE

Il était temps de rentrer dans le vif du sujet quand Kenny Mayne abordait la question de son conflit en orientant le débat sur le management qui aurait toujours raison et le joueur toujours en tort lorsque ce dernier entre dans ce genre de situation.

C’est alors qu’Aaron Rodgers exprima sa vision d’une organisation sportive, celle d’une structure construite par des hommes et que d’autres hommes en perpétuent l’héritage. À vrai dire, on ne peut pas lui donner tort. Mais en filigrane, en sous-entendant que les hommes sont plus importants que l’organisation en tant que telle (puisque cette dernière n’est que la production des hommes), Rodgers se range évidemment dans le parti de ces hommes (« people ») que dans le camp de l’organisation, représentée actuellement dans ce conflit par le manager général Brian Gutekunst et le Président Mark Murphy, personnes que Rodgers ne citera jamais dans l’interview.

Concrètement, Rodgers chercha à démontrer, toute en subtilité, son importance dans l’organisation et l’histoire de la franchise qui l’emploie depuis 16 ans, peut-être notamment face à un Gutekunst, à la barre depuis 3 ans comme manager général. Mais il oublie peut-être que Gutekunst, s’il est sous la lumière depuis 3 ans, fait partie de la même organisation depuis… 1998, bien avant que Rodgers n’intègre notre équipe préférée (2005) ; une carrière essentiellement de « scout » (recruteur au niveau universitaire) au service de Green Bay.

Ce même Gutekunst qui, dès sa prise de fonctions, prit le soin de faire signer une extension de 4 ans à Rodgers en juillet 2018. Alors que Rodgers sortait d’une saison 2017 où il se cassa la clavicule avec un retour prématuré qui fut un fiasco. Même si les cheeseheads, dont moi, avaient Rodgers dans leur coeur et considéraient qu’il n’était pas fini. Et pourtant, on ne peut pas dire qu’il confirma lors de la saison 2018, une annus horribilis qui servit à mettre fin au bail du head coach Mike Mc Carthy, dont le lien avec Rodgers était depuis longtemps rompu.

Après cette tirade louable de Rodgers sur la culture d’une franchise unique détenue par une multitude de petits actionnaires, Kenny Mayne rentra dans le dur : « est-ce que tu demandes un « trade » ? »

Rodgers dut un peu se dévoiler en évoquant en premier lieu (sans qu’on lui demande directement d’ailleurs) le choix de draft de Jordan Love sur lequel il jure que cela n’a pas de rapport et de dire que ce Jordan est un super mec.

Évidemment, on peut croire Rodgers quand il dit qu’il n’a rien contre Love, l’homme. Comme Favre n’avait rien contre Rodgers quand il fut choisi en choix de 1er tour de draft 2005. Mais l’agent de Favre appela dans la minute de ce choix le management.

Et de la manière dont le premier sujet qu’il évoque est bien ce choix de draft me laisse à penser que quand il dit que ce n’est pas le choix de draft qui est en cause, c’est définitivement ce choix qui est en cause. Oh, évidemment, il savait bien que Love n’allait pas lui piquer la place de QB en 2020. Mais il savait aussi que si Love fut pris à ce niveau-là, c’était bien dans le but de le remplacer tôt ou tard. Et que la structure du contrat du n°12 laissait la porte ouverte à son remplaçant après 2021.

Que ce choix lui fut communiqué ou non dans les minutes qui auraient précédé le pick de Green Bay, comme c’est le débat ces derniers jours, vous croyez vraiment que cela aurait rien changé à la situation actuelle ? « – Allô, Aaron, on prend ton remplaçant pour 2022. – Cool, merci de m’avoir prévenu. » Pas pour moi.

Communication ou pas, on sait tous que c’est bien ce choix de draft de Jordan Love, avec tout ce que cela sous-entendait sur l’avenir des Packers, qui est la racine de ce conflit. Sans Love, Rodgers n’aurait pas peut-être pas forcément demandé cette prolongation de contrat cette année, et s’il l’avait fait, les Packers auraient peut-être bien accédé à ses désirs beaucoup plus facilement.

Une fois ce sujet de Love sorti, Rodgers fit les louanges de tous ceux qui composent cette équipe, entraîneurs, joueurs et même fans, mais pas le management…

Dans cet oubli volontaire, Rodgers se dévoilait un peu plus en avouant que son titre MVP avait contrecarré les plans du management et serait le déclencheur de ce conflit. Donc pour Rodgers, et peut-être a t-il raison, son titre de MVP a peut-être changé la vision du management sur le devenir du poste de QB à Green Bay. En gros, Gutekunst : « mince, Rodgers a bien adhéré au coaching de LaFleur et Love, en plus sans pré-saison 2020, a encore du chemin avant d’être envoyé au feu, faudrait pas brûler les ailes du n°10, pas avant 2022. »

Bon, cette affirmation laisse tout de même transparaître un certain ego que j’avais déjà souligné, car son titre de MVP, c’est une récompense individuelle mais il ne l’a pas gagné tout seul, le football américain étant un jeu d’équipe aux dernières nouvelles. Et surtout, son titre de MVP doit surtout à son adhésion au système de LaFleur, beaucoup moins « QB dépendant » que celui de Mc Carthy, lui montrant la voie pour durer (plus de jeu de course) et rester performant à la manière d’un Tom Brady. Un Matt LaFleur recruté par Brian Gutekunst, soit dit en passant…

L’HISTOIRE DES PACKERS CONVOQUÉE, PAS FORCÉMENT À BON ESCIENT

Revenant en conclusion sur l’importance des hommes dans la franchise, il évoqua les grands noms du passé. D’abord en parlant de Curly Lambeau, le fondateur de l’équipe, puis de Vince Lombardi et de sa fabuleuse équipe des années 1960 avec son QB Bart Starr, jusqu’à l’équipe des années 1990 coaché par Mike Holmgren avec Brett Favre en QB et Reggie White en ministre de la défense. Rodgers s’inscrivant donc dans cette suite logique des grands hommes de la franchise.

Oui, Aaron, tu es et resteras un grand joueur de cette unique franchise du Wisconsin. Tu as participé à son histoire et ton n°12 sera retiré, sois en sûr, quand le temps sera venu.

Mais quand tu quitteras les terrains, et tu n’y peux rien, car cela arrivera forcément le temps venu puisque nul n’est éternel, la franchise, elle restera. Tu sais, celle des Packers, ce nom que tu n’as pas prononcé une seule fois lors de cet interview de 11 minutes ; un exercice auquel je me suis exercé pour rédiger cet article jusque-là, et ce ne fut pas facile de remplacer Packers par franchise ou organisation aussi longtemps ; il faut même une sacrée volonté…

Oui, les Packers ont été construits petit à petit par des hommes, ces « people » que tu as cité par contre 14 fois dans les 2 mn où tu as dévoilé un peu ton jeu.

Mais tu sais, même Curly Lambeau, le fondateur des Packers dut se résoudre à démissionner en 1949, quand face à une banqueroute possible de la franchise, il proposa au comité exécutif d’abandonner ce système unique de petits propriétaires qui fait la fierté des cheeseheads actuellement. Cette hérésie rejetée par le comité exécutif, il est même dit qu’il tenta de monter sa propre équipe à Los Angeles. Finalement, en 1950, il devint le head coach… des Chicago Cardinals ! Et pourtant, tu vois, le stade des Packers est bien le Lambeau Field.

Vince Lombardi, même dans les années 60, dut faire face au même type de conflit avec son RB légendaire Jim Taylor qu’il échangea avec les New Orleans Saints en 1967 plutôt que de céder à ses demandes. Lombardi dans le texte : « Les Packers sont dans ce business depuis 47 ans, n’est-ce pas ? Et ils seront encore là pour 47 autres années, donc on aura toujours à remplacer les « Jim Taylors ». En déclin, Jim Taylor prendra sa retraite l’année suivante.

Les mots de Lombardi résonnent dans cette situation de conflit entre Rodgers et les Packers. Et le n°31 de Jim Taylor trône bien dans les tribunes de Lambeau Field. Quant à Vince Lombardi, il a fini sa carrière de head coach chez les Washington Redskins en 1969.

Bart Starr a gagné 5 titres NFL dont 2 Super Bowls. Il restera à mes yeux le plus grand QB que Green Bay ait connu. D’abord par son palmarès unique mais aussi parce que ses titres, il les glana avec Vince Lombardi à un moment charnière de l’histoire des Packers dont la localisation à Green Bay fut constamment mise à mal par la petitesse du marché local. Les Packers étaient la meilleure équipe NFL au début des années 1960 et c’est peut-être bien cela qui a décidé le commissaire NFL de l’époque Pete Rozelle à convaincre les équipes des grosses métropoles de mettre en place le système de partage de revenus des droits TV, un système dont cette franchise basée dans ce bled paumé qu’est Green Bay a pu profiter à plein.

Mike Holmgren, le head coach des grandes années Favre, avec un Super Bowl à la clé en 1996, partit chez les Seattle Seahawks en 1999 pour devenir head coach et manager général de la franchise de l’Etat de Washington.

Quant à Favre, vous connaissez tous l’histoire. Après son trade aux New York Jets en 2008, il fit l’offense aux cheeseheads de signer pour les rivaux honnis des Minnesota Vikings où il passa deux saisons (2009-2010). Hué au Lambeau Field lors de ces deux années, son numéro fut également retiré chez les Packers au cours d’une cérémonie où il fut applaudi par tout le stade.

Et le ministre de la défense, Reggie White, fut le premier gros coup effectué par une franchise dans l’histoire de la « free agency » NFL, lors de la première année de sa mise en place en 1993. White signa pour les Packers… après 8 saisons aux Philadelphia Eagles.

Bref, de tous les exemples cités par Aaron Rodgers, exemples qui font effectivement partie de l’histoire des Packers, un seul eut sa carrière entière dédiée à sa franchise, Bart Starr. Et tous ces hommes (« people ») font partie de l’histoire des Packers. Beaucoup ont disparu, mais leur mémoire est perpétuée par la franchise des Packers. D’autres sont encore là, et font partie du Packers Hall of Fame, à minima.

TOUT EST ENCORE POSSIBLE ?

Outre ces tirades à moitié philosophiques, à moitié intéressées, sur l’histoire d’une franchise et des hommes qui l’ont faite, Rodgers a tout de même dit que « tout était encore sur la table ». Si on doit le croire, les négociations pourraient être donc toujours en cours.

Les demandes de Rodgers sont-elles réalisables ? Car c’est bien de cela dont il s’agit. Cette situation est due au fait que Rodgers souhaite la voir évoluer par rapport à son contrat actuel qui court jusqu’en 2023 inclus (celui qui faisait de lui le joueur le mieux payé de la NFL quand il le signa en 2018). C’est-à-dire avoir l’assurance financière et contractuelle qu’il sera le QB des Packers, pas pour 2021 (ce que les Packers ont toujours dit haut et fort), mais pour l’après, c’est-à-dire aussi longtemps que Rodgers souhaite et peut jouer. Que les Packers vivent et meurent avec Rodgers.

Les Packers accepteront-ils cette situation de complète dépendance à leur QB par un nouveau contrat rendant obsolète le choix de draft de Jordan Love ? Ou ont-ils déjà fait leur choix avec un échange arrangé avec une autre franchise NFL, échange qui serait divulgué et contractualisé après le 1er juin ?

Les prochains jours nous en diront peut-être beaucoup. Et je l’espère, car cette situation ne peut durer éternellement jusqu’au camp d’entraînement qui démarrera dans deux mois. Quid de l’esprit d’équipe quand le meilleur joueur est absent et que son remplaçant se poste donc comme le QB 1 aux entraînements. Situation bizarre, n’est-ce pas ?

On saura peut-être très prochainement si les Packers termineront cette histoire de la même manière que Kenny Mayne l’a fait pour l’interview : par un beau « f*** you » sarcastique (même si celui de Mayne l’était sur les conseils de Rodgers sur la cryptomonnaie ^^).

GBPF

2 Comments

  1. DavidBrillac

    Super article comme souvent.
    Je suis d’accord avec toi sur les grandes lignes, l’institution avant l’humain, les hommes passe, les Packers centenaire resteront.
    Le souci c’est la manière, quand tu as un immense quaterback comme Rodgers, c’est lui le maître du temps, ton arme numéro un, le seul joueur le l’effectif capable de te ramener le Lombardi, tout les autres joueurs ne sont que des faire valoir, sans Starr, sans Bradshaw, sans Montana, sans Aikman, sans Brady point de saga.
    Alors oui Rodgers à aussi sa part de responsabilité dans les 4 défaite en finale NFC, mais quand tu tiens un des plus grands de l’histoire tu le garde jusqu’à que son bras le lâche.
    J’ai connu les Packers avec un nullard en guise de quaterback en 1987, puis un bon Majkowsky, un immense Favre, et un encore plus immense avec le 12 de Chico..
    30 saison de très haut niveau a ce poste pour moi et les Packers, c’est une chance immense, j’ai bien peur qu’après ça le néant s’installe pour longtemps.
    Alors laisser nous Rodgers gagner un 14eme titre et puis, et ensuite advienne que pourra !

  2. Guile

    J’ai un souvenir assez vague d’une ITW d’un membre du staff des Colts il y a quelques années où l’interviewer demandait pourquoi ils (les Colts) ne préparaient pas de plan B au cas où Manning se blesserait ou était indispo.
    Et le mec des Colts avait juste dis un truc dans le genre de : « Sans Peyton, on est foutu » histoire de bien faire comprendre que ce n’était pas parce que tu mettais un remplaçant moyen à la place de Peyton qu’il compenserait ce que représentait Manning dans l’orga des Colts et qu’en fait, ils croyaient totalement en Peyton et misaient tout sur lui.

    Je pense que c’est ce qu’attends Rodgers du font-office des Packers et honnêtement je pense qu’il le mérite vu ce qu’il a dû se trimballer sur la fin des années Capers-McCarthy.

    Franchement, les jeunes QB en couveuse qui explosent tout après 1 ou 2 voire 3 ans il y en a pas trop, c’est la grosse arnaque pour moi ce truc.
    Il y a eu certes Rodgers, il y a eu Mahomes dernièrement (et encore, il est tellement fort que tu peux te dire qu’il aurait quand même fait du mal à bien des équipes s’il avait joué son année de rookie) mais à part ça ?
    Je ne suis pas sûr qu’on puisse mettre Lamar Jackson dans la liste vu qu’il a joué la fin de sa première saison. Garropolo est tellement blessé que non. Tua c’est un peu comme Lamar.

    Après, comme je le disais dans un article précédent, la méthode de Rodgers ne me plait pas trop, le fait d’attendre un mois pour faire une webconf en claquette depuis Hawai en mode « je vous aime tous sauf certains mais je ne dirais pas qui c’est », ça me gonfle.
    T’aimes tout le monde ? Bah pointes toi aux OTA et montre leur…

    Par contre, j’avais pas noté la perte de 7-8kgs durant l’intersaison.
    S’il revient encore plus fit ,il peut tout tuer cette année, faut juste espérer que ça sera avec le maillot des Packers.

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