Saison creuse oblige, un peu d’histoire des Packers ne fait pas de mal ! Samedi 23 avril 2005, la draft NFL a lieu au Jacob Javits Center de New York City. Six joueurs sont invités à cette grand-messe pour attendre, dans une pièce de réception sous les yeux des caméras, que le commissaire NFL Paul Tagliabue prononce leur nom. S’ils ont été pré-sélectionnés, c’est qu’ils sont avec quasi-certitude dans le top 10 de la draft. Mais ce soir-là, cela ne se passera pas comme prévu pour un de ces jeunes hommes, du nom d’Aaron Rodgers.
AARON RODGERS, EN LICE POUR LE FIRST PICK
En 2005, Aaron Rodgers est alors un quarterback « junior » qui sort de l’University of California. Avec son équipe des Golden Bears et son RB « freshman » Marshawn Lynch, il ne connut qu’une seule défaite, contre l’épouvantail de l’époque : les Trojans de USC qui seront champions nationaux universitaires cette année-là, emmenés par leur QB, Heisman Trophy (« MVP »), Matt Leinart.
Mais ce Matt Leinart restera encore une année de plus à la fac où il tentera de décrocher un 2ème titre de champion en 2005. Les Trojans échoueront alors dans le Rose Bowl qui servait de cadre au titre national face aux Texas Longhorns de Vince Young dans un des matchs les plus légendaires du football universitaire.
Si bien qu’en avril 2005, il n’y a que deux QB « stars » qui se présentent à la draft : le QB des « Utes » d’Utah Alex Smith et donc Aaron Rodgers.
Ces deux QB font partie d’un cercle très fermé de joueurs invités à la draft pour suivre dans la « green room » (une pièce de réception) la draft et répondre à l’appel de leur nom. Ils ne sont en effet que 6 invités : les deux QB précités, 2 RB : Ronnie Brown (Auburn) et Cedric Benson (Texas), un WR : Braylon Edwards (Michigan) et un CB : Antrel Rolle (Miami).
Ce « pool » de joueurs a été choisi par un certain Gil Brandt, opérant alors pour la NFL, lui qui fit partie du haut management des Dallas Cowboys de 1960 à 1989. Pour sélectionner ce groupe de joueurs, Brandt a téléphoné à ses contacts dans la ligue tout en restant discret évidemment sur leurs intentions. Mais il sait alors qu’Alex Smith est le choix privilégié des San Francisco 49ers qui ont le 1er choix général.
Cette information fuite dans les coulisses du monde de la NFL et devient de plus en plus un secret de polichinelle, même pour Aaron Rodgers. Mais Rodgers est alors comme Saint Thomas et accepte l’invitation pour le Draft Day, en osant espérer que le vent tourne.
En effet, natif de Chico dans le nord de la California et fan des 49ers dans son enfance, il sait que San Francisco prendra un QB. L’histoire serait alors belle. Mais surtout, déjà plutôt orgueilleux, il pense qu’il est alors le QB le + « NFL-ready » du college football car ayant joué dans une attaque des Golden Bears au système « pro-style » coachée par Jeff Tedford.
Ce Jeff Tedford a alors incroyablement redressé l’équipe de California depuis sa prise en mains en 2002 en tant que head coach après avoir été le coordinateur offensif d’Oregon de 1998 à 2001. Il est surtout ce qu’on appelle un « QB guru » et a déniché Rodgers en 2002 à sa petite fac locale de Butte où il était venu y prospecter… un tight-end. Seulement, ses précédents produits ont tous été des stars universitaires qui ont été ensuite décevantes en NFL :
- Akili Smith, n°3 de la draft 1999 sélectionné par les Cincinnati Bengals
- Joey Harrington, n°3 de la draft 2002, sélectionné par les Detroit Lions
- Kyle Boller, n°17 de la draft 2003, prédécesseur de Rodgers à California et sélectionné par les Baltimore Ravens
Alors forcément, en tant que produit de Jeff Tedford, pourquoi Aaron Rodgers ne suivrait pas le même chemin pas si glorieux ? D’autant plus que sa mécanique de lancer n’était alors pas si orthodoxe (avec un ballon collé au casque) et pour certains peu adaptée à la ligue professionnelle, notamment pour les lancers longs. Ce qui est savoureux pour le futur spécialiste des lancers Ave Maria.
Bref, le risque de « bust » semblait plus important avec Aaron Rodgers qu’avec Alex Smith. Aaron Rodgers apparaissait comme un « quitte ou double » quand Alex Smith était le choix « secure ». Même le légendaire coach des Niners Bill Walsh, qui avait le QB Hall of FamerJoe Montana sous son aile dans les années 80, n’avait pas décelé son potentiel et ne voyait pas en Rodgers un futur grand QB.
À croire également qu’un certain nombre de franchises évaluaient même Rodgers inférieur à Jason Campbell, le QB d’Auburn qui sera encore disponible au pick des Packers (n°24), et finalement choisi le pick… juste après (n°25) par les Washington Redskins. Après Campbell, il n’y aura plus de QB choisi avant le début du 3ème tour. Campbell n’attendra lui qu’une saison et demie pour être titulaire aux Redskins. Et sera échangé après la saison 2009 aux Oakland Raiders après une pitoyable saison au bilan de 4-12.
LES NINERS SNOBENT RODGERS
Les San Francisco 49ers ont donc le 1er choix après une saison 2004 à 2 victoires et 14 défaites. Mike Nolan vient juste d’être nommé à la fois general manager et head coach. Ses QB se nomment Tim Rattay et Ken Dorsey. Il nomme comme coordinateur offensif un certain Mike Mc Carthy ; oui, oui, celui qui sera le prochain head coach des Packers en 2006.
Pourtant, ce même Mc Carthy dira plus tard que la visite du staff Niners pour le « workout » de Rodgers s’était très bien passée, Mc Carthy disant même que c’était le meilleur auquel il n’ait jamais assisté.
Mais de l’avis général, Rodgers doit changer sa mécanique de lancer pour réussir en NFL. Ce qui apparait difficile pour un QB qui doit être prêt week 1 cinq mois après la draft. Vous rajoutez à cela qu’Alex Smith est estimé comme + mobile et voilà comment le choix d’Alex Smith apparait alors comme le consensus général dans la baie de San Francisco.
Paul Tagliabue prononce le nom d’Alex Smith pour le 1er choix général dévolu aux 49ers. Et l’impensable « domino day » débuta pour aboutir à l’un des « slides » les plus incroyables de l’histoire de la draft.
LA CHUTE IMPROBABLE
Les Dolphins de Miami ont le second pick… et peuvent choisir un QB. En effet, leur saison 2004 a vu tourner en titulaire A.J. Feeley (8 starts), Jay Fiedler (7) et Sage Rosenfels (1). A.J. Feeley a néanmoins terminé honorablement la saison 2004 des Dolphins.
Ces Dolphins ont un nouveau head coach en la personne de… Nick Saban (la future légende du coaching universitaire avec la fac d’Alabama). Celui-ci va mener la draft des Dolphins, sans expérience dans ce domaine. Saban va évaluer les deux QB sur leurs workouts mais il adore la mobilité de Smith. De plus, précédemment coach à LSU, il a beaucoup observé le QB de Utah, finaliste du Heisman Trophy en 2004.
Gil Brandt, intime de Saban, en est persuadé : si Smith est libre en choix n°2, les Dolphins le choisiront. Mais les Niners sont passés par là.
Saban avait prévu cela et son plan de secours serait alors le meilleur RB de la cuvée. Mais alors qui ?
Le coureur d’Auburn Cadillac Williams : en 2004, 1165 yards à la course, 152 yards à la réception, 13 TD ? Son coéquipier Ronnie Brown : en 2004, 913 yards à la course, 313 yards à la réception, 9 TD) ? Ou plutôt le plus prolifique coureur universitaire en 2004 : Cedric Benson, le Longhorn de Texas : 1834 yards à la course, 179 yards à la réception, 20 TD ?
Ce sera Ronnie Brown et c’est comme si ce choix de Saban de passer outre Rodgers allait faire office de « red flag » pour les autres franchises.
Les Cleveland Browns choisirent le 1er WR de la cuvée avec leur choix n°3 : Braylon Edwards (Michigan), eux qui ont pourtant consommé 34 QB au poste de starter de 1999 à 2022 !
À cette époque, la NFL faisait encore la part belle à la course (en 2003, 14 coureurs sont à + de 1200 yards quand ils n’étaient que 5 en 2022). D’ailleurs, le MVP de la saison 2005 sera un RB : l’éphémère Shaun Alexander (Seattle Seahawks). Il n’était donc pas incongru de voir partir ensuite Benson en n°4 chez les Chicago Bears et Cadillac Williams en n°5 chez les Tampa Bay Buccaneers.
Ce sera un grand regret du coach de Tampa Bay de l’époque Jon « Chucky » Gruden. Et pourtant, il adorait Rodgers et lui aurait même encore rassuré les jours précédant la draft qu’il le prendrait s’il tombait en n°5. Depuis, Gruden a répété à corps et à cris que le fait d’avoir laissé échapper Rodgers était le + gros regret de sa carrière. Mais il ne s’en rendra pas compte de suite : les Bucs atteignaient les play-offs en 2005 et Cadillac Williams glana le titre de rookie offensif de l’année.
Le top 5 était sorti et déjà, il n’y avait plus qu’Antrel Rolle, le CB de Miami, pour accompagner Rodgers dans cette « green room », décor de la salle d’attente pour la crème de la crème des futurs draftés.
BESOIN D’UN QB ?
Une fois ces top joueurs sortis, les franchises suivantes pouvaient miser sur Rodgers si elles avaient décelé le futur talent du QB bien avant le 24ème choix des Packers. Mais elles pouvaient toutes avoir une « bonne » raison au poste de QB.
Soit elles avaient misé un 1er tour sur un QB les drafts précédentes :
- Houston Texans avec David Carr (choix n°1 de la draft 2002)
- Detroit Lions avec Joey Harrington (choix n°3 de la draft 2002)
- Washington Redskins avec Patrick Ramsey (choix n°32 de la draft 2002)
- Cincinnati Bengals avec Carson Palmer (choix n°1 de la draft 2003)
- Jacksonville Jaguars avec Byron Leftwich (choix n°7 de la draft 2003)
- Baltimore Ravens avec Kyle Boller (choix n°19 de la draft 2003)
- San Diego Chargers avec Philip Rivers (choix n°4 de la draft 2004)
Soit elles ont un QB vétéran performant la saison précédente :
- Daunte Culpepper (Minnesota Vikings – 27 ans), passeur le + prolifique en 2004 avec 4717 yards
- Trent Green (Kansas City Chiefs – 34 ans), 2ème passeur le + prolifique en 2004 avec 4591 yards
- Aaron Brooks (New Orleans Saints – 28 ans), qui sort d’une bonne fin de saison 2004 : 4 victoires consécutives qui voient échouer les Saints aux portes des play-offs ; surtout, Brooks est le QB charismatique de NO en ayant été le 1er QB à offrir une victoire en play-offs aux Saints, 33 ans après leur création !
Soit elles ont misé sur un QB vétéran à l’inter-saison :
- les Arizona Cardinals tentent, deux mois avant la draft, le pari Kurt Warner, l’ancienne star des St Louis Rams et du « Greatest Show on Turf » sort d’une saison avec les New York Giants qui ont choisi à mi-saison de le remplacer par leur rookie Eli Manning ; un pari qui s’avérera payant pour les Cards sur le long terme (Champion NFC 2009)
- les Dallas Cowboys misent, eux aussi deux mois avant la draft, sur un QB vétéran : Drew Bledsoe, un jour après sa résiliation par les Buffalo Bills ; le head coach Bill Parcells se retrouve avec ce QB vétéran, 10 ans après leur union chez les Patriots de Nouvelle-Angleterre qui les mena au Super Bowl 1996 perdu… contre les Packers de Brett Favre (QB) et Reggie White (DE)
Il faut également se dire que prendre un QB au 1er tour n’est une affaire aussi légère que maintenant. Surtout financièrement. Il n’y avait alors pas de « rookie scale », cet actuel système qui plafonne les salaires des rookies le temps de leur 1er contrat. Cela ne sera mis en place qu’avec l’accord propriétaires-joueurs de 2010.
C’est donc plus aléatoire pour les franchises de payer un QB rookie pour le garder sur le banc, encore plus si celui-ci est du 1er tour avec le salaire qui va avec. Tout en payant fortement un QB vétéran ou établi dans le contexte d’un salary cap à respecter.
AARON RODGERS SEUL SPECTATEUR DE SA CHUTE
En n°6, les Tennessee Titans prirent le controversé Pacman Jones, 1er CB, décevant et même suspendu en début de carrière (toute la saison 2007). Il retrouvera une seconde jeunesse en fin de carrière chez les Cincinnati Bengals.
En n°7, les Minnesota Vikings prirent le 2ème WR avec Troy Williamson, premier gros bust de cette cuvée et parmi les plus gros busts de l’histoire de la draft Vikings. D’autant que ce choix n°7 fut obtenu en échange du trade de leur joueur iconique Randy Moss vers les Oakland Raiders ! Et clairement, le choix de Williamson répondait au besoin de remplacer l’irremplaçable Moss.
Rolle partit en n°8 pour les Arizona Cardinals en tant que deuxième CB de la cuvée et laissa à partir de là Aaron Rodgers seul.
Seul face aux caméras qui le scruteront à chaque choix, lui imposant une torture mentale au fur et à mesure que les picks s’effectuaient sans que son nom soit prononcé. L’humiliation dura presque 4 heures. Quatre heures durant son sourire se crispa de plus en plus alors que dans le même temps des agents d’entretien nettoyaient les tables désertées !
Pendant ce temps-là, les équipes qui choisirent n’envisageaient pas que Rodgers ait un tel talent futur pour le laisser passer.
Les Redskins optaient en n°9 pour Carlos Rogers un CB qui sera à Washington un titulaire dès sa première année (puis Pro bowler chez les 49ers en 2011). Les Detroit Lions se fourvoyaient eux avec Mike Williams (WR) au choix n°10.
Si les équipes suivantes peuvent se mordre les doigts d’avoir laissé passer un futur Hall of Famer au poste le plus important du football américain, le goût est un peu moins amer pour les équipes qui choisirent du n°11 au n°15. En effet, chaque sélection se fit sur un futur All-Pro :
- Dallas Cowboys en n°11 : DeMarcus Ware (LB) – 9 pro bowl, 4 fois all-pro, 2 sack leader, Hall of Famer en 2023)
- San Diego Chargers en n°12 : Shawne Merriman (LB) – rookie défensif 2005, All-Pro en 2006, sack leader en 2006, 3 Pro Bowl
- New Orleans Saints en n°13 : Jammal Brown (OT) – All Pro en 2006, 2 Pro Bowl et Super Bowl en 2009
- Carolina Panthers en n°14 : Thomas Davis (LB) – 14 ans de carrière chez les Panthers, All Pro en 2015 et 3 Pro Bowl
- Kansas City Chiefs en n°15 : Derrick Johnson (LB) – All Pro en 2011, 4 Pro Bowl
Puis à partir du choix n°16 jusqu’au choix des Packers en n°24, ce fut une litanie de beaux busts qui rendent encore « verts » les supporters des franchises incriminées :
- n°16 : Houston Texans – Travis Johnson (DT – 3 sacks en 6 ans de carrière)
- n°17 : Cincinnati Bengals – David Pollack (LB – fracture cervicale en 2006 et fin de carrière)
- n°18 : Minnesota Vikings – Erasmus James (DE – 15 matchs et 4 sacks en 2005 puis carrière avortée par les blessures)
- n°19 : St. Louis Rams – Alex Barron (OT)
- n°20 : Dallas Cowboys – Marcus Spears (DE)
- n°21 : Jacksonville Jaguars – Matt Jones (WR – 4 ans de carrière NFL)
- n°22 : Baltimore Ravens – Mark Clayton (WR)
Au n°23, les Seahawks décident de « trade down ». Les Seahawks ont leur franchise QB (2001-2010) en la personne de Matt Hasselbeck… un QB tradé par les Packers avant la draft 2001 contre un 3ème tour et un échange de picks de 1er tour (inversion choix 10 et 17).
Les Seahawks descendent au pick n°26 avec les Oakland Raiders. Ceux-ci montent de 3 places contre un 4ème tour. Les Raiders ont comme QB un des plus fameux « journeyman » de la NFL (17 saisons, 2 Pro Bowls) en la personne de Kerry Collins, alors 33 ans. Ce dernier sort d’une sale saison avec 3 victoires et 10 défaites sur ses 13 matchs de titulaires tout en ayant marqué 21 TD et commis… 20 INT !
C’est sûr, Aaron Rodgers va partir pour la Californie. Pas dans son équipe rêvée des 49ers mais dans son état natal tout de même. Mais si les Raiders avaient une histoire nantie de bonnes drafts, cela se saurait. Et ce trade-up en n°23 fut finalement effectué pour glaner un certain Fabian Washington, (CB) qui fera 6 ans de carrière NFL avec une seule bonne année en 2006 (4 INT). Avec un 4.29 s aux 40 yards du combine de 2005, soit alors la 5ème meilleure marque de l’histoire du combine dans cette épreuve, on comprit ce qui avait fait flasher (à tort) le management Raiders.
LE DILEMME DES PACKERS
Et voilà les Packers « on the clock ». En ce soir de draft 2005, le management des Packers a 20 joueurs nantis d’un grade de 1er tour. Tous sont partis : Demarcus Ware, Derrick Johnson ou Marcus Spears, qui étaient tous des cibles. Tous, à l’exception d’Aaron Rodgers.
Alors, la sélection du meilleur joueur disponible (et de loin !) parait logique. Oui mais voilà, les Packers ont en leur sein un QB vétéran de 13 ans de carrière, 3 fois MVP dans le passé, mais toujours vert et inoxydable : Brett Favre. Un QB toujours top 5 NFL, qui a rapporté le plus récent des Super Bowl à Titletown et qui sort d’une saison 2004 avec le titre NFC North et une défaite en wild-card (contre les honnis Vikings néanmoins).
Plutôt que de se mettre cette grosse épine dans le pied d’un QB de 1er tour de draft à faire cohabiter avec un QB vétéran futur Hall of Famer, les Packers sont prêts à écouter des offres de trade down.
Les Packers ont appelé Rodgers et son agent dès le début des 15 minutes dévolues au pick. Mais c’est pour lui dire… d’attendre encore un peu. Ils laissent ensuite 12 des 15 minutes du pick s’écouler… pour rien. Aucun appel. C’est à Ted Thompson, le tout récent manager général de trancher.
GB fait-il un gros « reach » pour un joueur plus adapté aux besoins, nombreux alors en défense, et opérationnel de suite ? Ou compte tenu du fossé d’évaluation entre Rodgers et les autres joueurs disponibles, GB doit-il prendre un QB qui devra cirer le banc (sauf blessure mais Favre est indestructible rappelons-le) au risque de créer une crise interne ?
Ted Thompson changea alors le cours de l’histoire d’une franchise : let’s go, en route pour le meilleur joueur disponible.
Paul Tagliabue, le commissaire NFL se présente au pupitre : « with the 24th pick of the 2005 NFL Draft, the Green Bay Packers select… Aaron Rodgers, quarterback, California ».
Fin du calvaire pour Rodgers. La première accolade est pour son agent Mike Sullivan, la seconde pour sa mère.
UNE DESCENTE PRÉVISIBLE ?
Et pourtant, ce n’est pas comme si Aaron Rodgers tombait des nues. Des signaux d’alerte lui avaient été envoyés. Mais il ne les a pas crus. Comment pouvait-il y croire ?
Revenons sur Gil Brandt, en charge alors pour la NFL de la sélection des joueurs pour être dans la « green room » de la draft. Pour sélectionner ce groupe de joueurs, Brandt a téléphoné à ses contacts dans la ligue en essayant de glaner le maximum d’informations. De par son passé, Gil Brandt a des informations sûres des GM qui savent qu’ils peuvent compter sur sa discrétion.
Il sait qu’Alex Smith est le choix privilégié des San Francisco 49ers qui ont le 1er choix général mais aussi des Miami Dolphins en n°2. Par son expérience, Gil Brandt comprend vite, au fur et à mesure des réponses négatives ou évasives de ses contacts, qu’Aaron Rodgers peut descendre loin dans ce 1er tour de draft, voire jusqu’au choix n°24 des Packers.
La veille de la draft, il appelle donc John Dorsey, alors directeur du scouting des Packers (et futur GM des Chiefs de 2013 à 2017 (pick de Mahomes) et des Browns de 2017 à 2019). Il lui demande si les Packers sont prêts à prendre Rodgers au cas où il serait disponible en n°24. Dorsey lui assure que oui, et même si Ted Thompson vient de prendre le poste de GM et effectue donc sa 1ère draft à GB.
Pressentant ce qui allait advenir du lendemain, Gil Brandt invite le vendredi soir, veille de la draft, Aaron Rodgers au restaurant. En tête à tête. Et là, il lui expose la situation, lui expliquant qu’il a de grandes chances de ne pas être pris en 1st pick et même de descendre de manière lointaine dans le 1er tour. Et qu’il pense qu’il pourrait descendre jusqu’au choix n°24 des Packers qui alors le prendraient.
Alors, sur ces prémonitions, il lui propose de ne pas se présenter dans la « green room » pressentant ce qui pourrait une grande désillusion pour le jeune californien.
Mais Rodgers lui répond : « Mr. Brandt, mes parents seront là. Et moi, je veux aussi être là. C’était mon choix et je vais l’honorer. »
Rodgers croyait-il vraiment le vieux Gil Brandt ? Peut-être. Son agent Mike Sullivan lui avait lui aussi mis la puce à l’oreille au matin de la draft. La veille, à minuit, il eut le GM des Buccaneers (choix n°5) qui l’informa que si Rodgers descendait au choix n°5, ce n’est pas lui qu’ils prendraient. Sullivan lui aussi mit alors Rodgers en garde face à ses illusions, s’excusant de ne pas lui trouver de port d’attache dans les hauteurs de la draft.
Et voilà comment le monde entier NFL vit, des heures durant, le supplice mental infligé à un Aaron Rodgers d’abord incrédule puis nerveux et enfin désemparé voire philosophe.
Le vieux Gil Brandt le consola en lui disant qu’il n’était pas le premier joueur attendu haut à la draft à descendre de manière imprévisible et presque incompréhensible. Il lui cita le cas de Dan Marino, le QB légendaire des Dolphins, qui dévala les choix de draft du 1er tour 1983 pour être finalement capté au choix n°27 par la franchise de Miami (une descente principalement due néanmoins à des rumeurs d’usage de drogues par le jeune QB).
Plus que la joie d’intégrer la franchise des Packers où régnait un QB vétéran performant, c’est bien l’amertume qui était le sentiment prédominant de Rodgers après la draft. Et même un sentiment de vengeance comme le suppose sa réponse cinglante à la question : « Etes-vous déçus que les 49ers ne vous aient pas choisi ? » ; « Pas autant que les 49ers le seront de ne pas m’avoir drafté ! »
Eh oui, l’histoire de la NFL toute entière aurait été différente si Rodgers avait été drafté par sa franchise de coeur. Elle aurait été tout aussi différente si les Packers avaient reçu une offre décente de trade down. Mais rien ne vint.
Aaron Rodgers aura mangé une tarte entière d’humilité, nourrisant un sentiment de vengeance qui le motivera à prouver à ses détracteurs l’immense erreur que la quasi-totalité des franchises avait faite en ce soir d’avril 2005.
AU PANTHÉON DES PACKERS ET DE LA NFL
La suite, on la connait, nous les cheeseheads. Trois ans de banc à patienter derrière le légendaire Brett Favre. Une première saison 2008 en titulaire avec un faible bilan de 6-10 mais avec tant de matchs prometteurs, perdus de peu. Une seconde saison 2009 où GB atteindra les play-offs. Et même le graal en 2010 avec le Super Bowl remporté à Dallas.
Et tant d’années où le n°12 aura fait vibrer les fans des Packers pour des joies et des déceptions à la hauteur du talent du QB, avec au passage 4 titres de MVP (2011, 2014, 2020, 2021).
Finalement, comme le commissaire NFL Paul Tagliabue le dit à Rodgers lors de sa sélection : « les bonnes choses arrivent à ceux qui savent patienter ».
Il ne croyait pas bien dire. Et espérons pour les Packers que la même patience qu’a dû endurer son successeur Jordan Love durant 3 saisons (2020 à 2022) porte les mêmes fruits…
Les 23 joueurs draftés avant Aaron Rodgers, pris au 24ème choix de la draft 2005 par les Green Bay Packers :
- San Francisco 49ers – Alex Smith, QB (Utah)
- Miami Dolphins – Ronnie Brown, RB (Auburn)
- Cleveland Browns – Braylon Edwards, WR (Michigan)
- Chicago Bears – Cedric Benson, RB (Texas)
- Tampa Bay Buccaneers – Cadillac Williams, RB (Auburn)
- Tennessee Titans – Adam Jones, CB (West Virginia)
- Minnesota Vikings – Troy Williamson, WR (South Carolina)
- Arizona Cardinals – Antrel Rolle, CB (Miami FL)
- Washington Redskins – Carlos Rogers, CB (Auburn)
- Detroit Lions – Mike Williams, WR (USC)
- Dallas Cowboys – DeMarcus Ware, LB (Troy)
- San Diego Chargers – Shawne Merriman, LB (Maryland)
- New Orleans Saints – Jammal Brown, OT (Oklahoma)
- Carolina Panthers – Thomas Davis, LB (Georgia)
- Kansas City Chiefs – Derrick Johnson, LB (Texas)
- Houston Texans – Travis Johnson, DT (Florida State)
- Cincinnati Bengals – David Pollack, LB (Georgia)
- Minnesota Vikings – Erasmus James, DE (Wisconsin)
- St. Louis Rams – Alex Barron, OT (Florida State)
- Dallas Cowboys – Marcus Spears, DE (LSU)
- Jacksonville Jaguars, Matt Jones, WR (Arkansas)
- Baltimore Ravens – Mark Clayton, WR (Oklahoma)
- Oakland Raiders – Fabian Washington, CB (Nebraska)
GreenBayPackersFrance
Principales sources :
- Gil Brandt – The inside story behind Aaron Rodgers’ freefall at the 2005 NFL Draft – NFL.com – 21/01/2021
- Andrew Brandt (qui était en 2005 vice-president en charge des contrats des joueurs (finances et juridique) – Divers sources
Magnifique !
Super article, l’histoire est belle et la comparaison avec Marino est parfaite, que beaucoup ont du regretté à commencé par les Jets, tiens tiens, qui avaient préféré Ken O’Brien 🙂
Es-ce que l’aigreur de Rodgers de plus en plus grande envers la société lui vient de ce jour là, probablement !
L’homme m’était beaucoup plus sympathique à l’époque de sa gloire et de ses incruste photographiques, qu’il ne me l’est plus aujourd’hui.
Le joueur lui restera immense, capable comme à Détroit de faire planner en haute altitude un ballon sur plus de 70 yards et de ramener un 13 ème titre à Green Bay.
Quelle chance et privilège pour le petit village du Wisconsin d’avoir eu le flair et l’audace d’aller chercher un Bart Starr au 15 ème tour de draft, d’avoir échangé contre un premier tour le jeune Mississippi abandonné par Glanville au Falcons.
D’avoir tenté le coup avec Rodgers et maintenant Love.
4 quarterback qui pourrait a eux quatre compté pour 50 où 60 ans d’histoire de cette franchise légendaire.
4 quarterback pour 50 voir même 60 saisons, INCROYABLE !
GO PACK GO!
Chouette article, à propos d’une époque où ma connexion internet dans ma cambrousse ne me permettait pas de suivre les matchs en streaming…
Je garde de la sympathie pour le bonhomme, même si son départ a été un soulagement pour moi; son intersaison m’a d’ailleurs à nouveau apporté du soulagement quant au fait de ne plus le voir porter le maillot des Packers. 😉
Je resterai aussi à jamais reconnaissant pour tous les moments incroyables qu’il nous aura offert, David a cité le match à Detroit, où le Rodgers to Rodgers vient clôturer une fin de match de dingue, où les 30 ou 40 dernières secondes ont duré pas loin de 10 minutes (dans mes souvenirs, désolé si je fais le Marseillais sur ce coup!), mais d’une manière générale, je retiendrai surtout la connexion Rodgers/Nelson, et cette sensation qu’à chaque instant, les deux pouvaient executer l’adversaire.
Et enfin, je me prends à rêver que Jordan Love cultive une connexion simillaire avec 3 ou 4 Jordy Nelson…
GOPACKGO
Très sympa cet article, merci !
Comme pour Favre, je resterai toujours déçu qu’il n’ai pas pu faire uniquement sa carrière aux Packers (surtout qu’il en a parlé longtemps).
J’ai toujours du mal à comprendre comment le type super sympa et super R-E-L-A-X a pu finir par devenir très franchement agaçant sur certains sujets.
Après, on ne saura jamais le niveau de la qualité de sa relation avec Gute mais peut-être est-ce que ça a joué dans le genre : « Puisque tu m’emmerdes alors que je suis le meilleur joueur de ton équipe, bah je ne vais pas te faire de cadeaux ».
De manière générale, je ne suis pas sûr que la psychologie humaine soit la plus grande qualité de Gute. Quand tu entends ce qu’il aurait proposé comme salaire à des mecs style Nelson ou Jones, de mon point de vue ça va au-delà du boulot de GM. C’est plutôt dire qu’on te fait une proposition tellement ridicule malgré tout ce que tu as fait, on sait que tu vas la refuser mais c’est toi qui va la refuser, moi je serais clean.
Il y a toujours eu des Packers qui finissaient chez les Vikings ou les Bears mais depuis Gute, j’ai l’impression que c’est plus souvent. Genre le petit esprit de revanche du type qui s’est senti insulté et/ou poussé vers la sortie.
Bref, on n’aura jamais le fin mot de l’histoire mais je ne pense pas que ce soit tout blanc d’un côté et tout noir de l’autre.
Après, Rodgers s’est pas aidé en faisant des déclas à la con et finalement il a un peu scié la branche sur laquelle il était assis.
S’il était resté le Rodgers R-E-L-A-X, j’imagine pas la cote de popularité abyssale de Gute ces dernières années mais bon, il y avait trop d’égo entre les deux (en même temps qui n’en a pas arrivé à ce niveau).
En tout cas, pour en revenir au jeu, qu’est-ce que c’était un plaisir de le voir jouer, j’adore tellement ce joueur.
Sa précision, sa rapidité de lancer, sa décontraction, il est capable de tout faire et quand tu rajoutes la mobilité qu’il avait jeune, c’était un kif incroyable à regarder et donc merci aux 23 équipes avant qui se sont bien plantées et surtout merci aux 49ers d’avoir pensé qu’Alex Smith était meilleur.
J’espère pour lui qu’il arrivera à retrouver les terrains pour (bien) jouer avec les Jets et qu’il s’éclatera même si bon, je devrais me retrouver à regarder des matchs des Jets ! (pour la seconde fois, merci Brett, merci Aaron 🙂 )
Comme je l’ai dis, j’adore ce joueur beaucoup plus que je n’ai adoré Favre (en même temps, contrairement à David, je n’ai pas connu la période de désert pré-Favre, j’ai embarqué dans le wagon Packers fin des années 90 /début des années 2000).